Parce que l’avenir du logement social se joue aussi à Bruxelles

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Définition du Logement Social

Le débat européen sur le sens du logement social, à savoir la nature des missions particulières imparties aux organismes de logement social par les Etats-membres, a été porté pour arbitrage devant les juges de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE).

L’arrêt du Tribunal de première instance de la CJUE relatif aux missions d’intérêt général imparties au logement social est attendu courant 2012.

Quelle qu’en soit la teneur, il devrait faire jurisprudence pour l’ensemble des services sociaux d’intérêt général.

Ce recours, engagé par un collectif de 133 fondations de logement social hollandaises (Wooningcorporatie) contre une décision de la Commission européenne , porte sur deux questions majeures pour l’avenir du logement social dans l’Union européenne :

1. une question de forme : celle de la compétence de la Commission, en qualité d’autorité européenne de concurrence, à contester, au titre du contrôle communautaire des aides d’Etat, le bien fondé du caractère d’intérêt général de missions particulières imparties au logement social par un législateur national,

2. une question de fond : celle du caractère exclusif et statique de la conception du logement social développée par la pratique décisionnelle de la Commission en tant que « réel service public à caractère social » fondé a priori sur un groupe de bénéficiaires et non pas sur l’exigence universelle de satisfaction des besoins en logements tels qu’ils s’expriment sur le marché.

Ce débat peut paraître a priori théorique et purement formel en l’absence de compétence communautaire en matière de politique du logement. Il va toutefois conduire un Etat-membre, en l’occurrence la Suède, à réformer en profondeur l’organisation de son secteur du logement social en procédant à la libéralisation du logement public communal. Il a par ailleurs conduit le gouvernement hollandais à devoir négocier avec la Commission européenne l’introduction d’un plafond de revenus dans un système caractérisé par le principe d’accès universel conformément à son acte fondateur, la loi sur le logement de 1901.

Comment en sommes-nous arrivés là alors même que le logement social relève de la compétence exclusive des Etats-membres conformément au principe de subsidiarité du Traité ?

Pour comprendre les raisons d’un tel débat, il convient de faire un détour par les subtilités du droit communautaire de la concurrence applicable au logement social en tant que service d’intérêt économique général.

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La notion de service d’intérêt économique général (SIEG) appliquée au logement social

Le logement social relève de la notion de SIEG en droit communautaire.

Il s’agit en effet d’une activité visant un objectif d’intérêt général, en l’occurrence la mise en œuvre du droit au logement pour tous, face à la défaillance des seules forces du marché à satisfaire cette préférence collective et ce droit fondamental reconnu au niveau international.

Le logement social est soumis à ce titre à des obligations spécifiques découlant des missions qui lui sont imparties par les pouvoirs publics. Ces obligations spécifiques sont qualifiées d’ « obligations de service public » en droit communautaire. Elles se traduisent par exemple par une obligation faite aux organismes de logement social de construire des logements sociaux à un prix donné, à les attribuer en priorité à des ménages en fonction de leur besoin en logement, à garantir à ces ménages une sécurité d’occupation des logements par des baux à durée indéterminée ou encore à réinvestir leurs résultats d’exploitation dans le financement de nouveaux logements sociaux.

Cette qualification du logement social de SIEG permet aux Etats-membres de déroger aux règles de droit commun de la concurrence et du marché intérieur dès lors que cette dérogation est justifiée par le bon accomplissement des missions particulières imparties aux opérateurs chargés explicitement de la gestion du logement social.

En effet, conformément aux dispositions du Traité, et notamment aux articles 14 et 106.2 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), le bon accomplissement des missions d’intérêt général imparties aux organismes de logement social en tant que SIEG prime sur l’application des règles de la concurrence et du marché intérieur.

A titre d’exemple, la grande majorité des opérateurs de logement social de l’Union européenne est agréée par les pouvoirs publics nationaux ou régionaux et reçoit des subventions pour construire des logements sociaux à des prix abordables. Ces agréments préalables que l’on qualifie en droit communautaire de « droits spéciaux » ou de « régimes d’autorisation » et ces subventions, que l’on qualifie « d’aides d’Etat », sont a priori interdits par les Traités.

L’agrément préalable constitue en effet un obstacle aux libertés économiques fondamentales d’établissement et de libre prestation de services au sein du marché intérieur. Il doit être justifié par une « raison impérieuse d’intérêt général » ou être nécessaire et proportionné au bon accomplissement d’une mission d’intérêt général.

Les subventions au logement social peuvent relever du principe d’interdiction des Traités car elles sont susceptibles d’induire un avantage économique pour l’organisme bénéficiaire, avantage économique contraire au principe de concurrence non faussée au sein du marché intérieur.

Le fait que ces agréments et subventions soient considérés par l’Etat-membre comme nécessaires et proportionnés au bon accomplissement des missions d’intérêt général imparties aux organismes de logement social, permet de les rendre compatibles avec les dispositions du Traité, sous certaines conditions .

La qualification de SIEG du logement social et des organismes qui en sont chargés est donc nécessaire à la sécurité juridique en droit communautaire des modes d’encadrement des opérateurs et de financement des programmes de logements sociaux dans les Etats-membres.

Cette qualification de SIEG par un Etat-membre doit reposer sur un acte officiel contraignant définissant la nature des missions d’intérêt général imparties aux organismes de logement social, la nature des obligations de service public qui en découlent, la nature des droits spéciaux octroyés et leur territoire d’application ainsi que les paramètres de calcul des compensations de service public octroyées aux organismes de logement social et les conditions de respect du principe d’interdiction de toute surcompensation.

Mais dès lors que cette qualification de SIEG par l’Etat-membre conditionne un principe de dérogation aux dispositions générales du Traité, la Commission européenne dispose d’un pouvoir de contrôle et d’appréciation de l’erreur manifeste dans la qualification du SIEG, c’est-à-dire d’un pouvoir de contrôle de l’abus éventuel qui peut être commis en matière de qualification de SIEG par un Etat-membre.

Jusqu’à présent, ce pouvoir de contrôle d’erreur manifeste avait été utilisé par la Commission européenne pour contester le bien fondé de la qualification de SIEG de secteurs entiers tels la sidérurgie en Pologne ou encore le tourisme en Grèce.

Mais pour la première fois, la Commission exerce son pouvoir de contrôle non pas en contestant le bien fondé de la qualification d’un secteur donné, en l’occurrence celui du logement, mais sur la base de la définition d’un périmètre donné au sein de ce secteur, en référence à une frontière à définir entre les segments privés et sociaux du marché du logement.

Il convient de noter que l’établissement de cette frontière n’est pas fondé sur l’analyse des besoins réels en logement mais en référence à une catégorie de ménages dits « défavorisés » compte tenu du caractère social du service public.

La question qui est posée par l’intervention de la Commission européenne est d’une part celle de sa compétence à définir les conditions de coexistence au sein d’un marché dual du logement, d’un segment dit « social ou public » sous obligations de service public en termes de prix et d’accès par exemple et d’un autre segment privé, libre de toute obligation spécifique.

D’autre part, la question est également posée de sa compétence, et de la pertinence, à imposer aux Etats-membres ses propres critères de délimitation des deux segments de marché en limitant le périmètre du segment social à la satisfaction des besoins en logement de la demande émanant des seuls ménages défavorisés.

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Un logement social disposant d’une vocation de service universel relève-t-il d’un abus manifeste de la qualification de SIEG en droit communautaire ?

Telle est la question posée aux juges de Luxembourg par le collectif de fondations de logement social hollandaises en réaction à la pratique décisionnelle constante de la Commission européenne en matière d’abus de la qualification de SIEG de logement social.

Selon la Commission, parce qu’un service public dispose d’un caractère social, il doit être défini, c’est-à-dire délimité dans son champ d’intervention, par un lien direct avec des personnes défavorisées.

En l’absence d’un tel lien direct, en l’occurrence une mission d’intérêt général définie globalement en référence à la mise en œuvre du droit au logement pour tous à vocation de service universel, la Commission considère qu’il s’agit d’une erreur manifeste d’appréciation de la qualification de SIEG. L’application de cette conception que nous qualifierons de « résiduelle » appliquée au logement social et à l’ensemble des services sociaux par la Commission, n’a posé aucun problème à la République d’Irlande lors de la notification de son régime d’aide au logement social en 2001 . Le ciblage des dispositifs d’aide au logement social sur les personnes les plus défavorisées dans un pays composé de plus de 80% de propriétaires occupants et faiblement urbanisé, correspond parfaitement à la conception résiduelle de la Commission européenne et à sa logique de ciblage.

Il en a été de même de la notification par le Royaume-Uni de son régime d’aide à l’accession sociale à la propriété en Ecosse, réservé à tout ménage pouvant démontrer qu’à deux reprises, sa demande de prêt immobilier avait été refusée par une banque commerciale .

Il en est autrement des Etats-membres disposant d’une conception universelle du logement social, voire du logement public, à l’exemple des Pays-Bas et de la Suède et dont la représentativité du secteur est bien plus significative en terme de régulation des marchés du logement .

Le Danemark se trouve dans une situation similaire mais également le Royaume-Uni en matière de logements locatifs sociaux, qui bien que disposant de critères sociaux de priorité construits sur la base d’un système de points, n’impose formellement aucun plafond de revenus dans l’accès au logement locatif social et public.

La question reste également posée dans les Etats-membres disposant d’une conception généraliste du logement social, c’est-à-dire intermédiaire entre les conceptions résiduelle et universelle . L’accès au logement social y est certes défini en référence à des plafonds de revenus, mais dont les niveaux pourraient être contestés car ne constituant pas le nécessaire « lien direct avec les groupes sociaux défavorisés » exigé par la Commission européenne.

Dès lors que le logement social est également ciblé sur les « key workers » et les fonctionnaires de base des collectivités territoriales ou des services publics locaux (policiers, pompiers, infirmiers, conducteurs d’autobus, facteurs, etc…), peut-on encore parler de personnes défavorisées ?

L’accès au logement social doit-il être défini ex ante sur la base du caractère défavorisé de la personne éligible ou ex post sur la base de son exclusion effective du marché du logement compte tenu de l’écart avéré entre les niveaux de prix sur un marché donné et le pouvoir d’achat du ménage concerné ?

L’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, la Grèce, la Finlande, la France, l’Italie et le Luxembourg illustrent parfaitement cette conception généraliste ou intermédiaire entre la conception résiduelle de la Commission et la conception universelle du logement social propre aux Pays-Bas et aux pays scandinaves membres de l’UE et de l’AELE comme la Norvège par exemple.

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L’erreur manifeste d’appréciation en question

En l’absence de lien direct avec les ménages défavorisés, ces conceptions universelles du logement social portées par les Pays-Bas et par la Suède au titre du logement public, ont été considérées par la Commission européenne comme une erreur manifeste de qualification de SIEG.

Une seule alternative s’offre à ces deux Etats-membres, sauf à contester cette pratique décisionnelle devant la Cour de justice de l’Union européenne :

1. soit faire évoluer leur système de logement social vers un système résiduel en lien direct avec les ménages défavorisés et maintenir la qualification de SIEG justifiant les dispositifs de régulation et de financement des organismes de logement social. Tel est le choix des Pays-Bas qui a pris l’option d’entrer en négociation avec la Commission en proposant l’introduction d’un plafond de revenus.

2. soit maintenir leur caractère de service universel en sortant le logement social de la qualification de SIEG et en renonçant ainsi aux dérogations aux dispositions de droit commun du marché intérieur et de la concurrence en matière notamment d’agrément et de droits spéciaux octroyés aux opérateurs ainsi qu’au régime de subvention au logement social sous la forme de compensation de service public.

Tel est le choix de la Suède qui a procédé à une libéralisation de son logement public par la suppression des droits spéciaux octroyés aux sociétés communales de logement. Cette décision a été prise sur la base d’un consensus interne à l’ensemble des acteurs, y compris aux sociétés communales en question.

La mise en place d’un ciblage social tel qu’imposé par la Commission européenne avait été exclue unanimement par l’ensemble des acteurs car contraire aux préférences collectives de la sociale démocratie. Cette libéralisation du secteur du logement public s’accompagnera d’une obligation de notification à la Commission des aides d’Etat au logement qui devront être limitées dans le temps et plafonnées en référence à une intensité d’aide maximale définie par des cartes régionales établies par la Commission.

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Un débat européen qui fait écho à celui de la mutabilité du logement social dans les Etats-membres

Ce débat, porté à Bruxelles en 2002 à l’initiative du gouvernement hollandais par la notification volontaire de son régime de financement du logement social, fait écho à un débat plus profond, présent dans de nombreux Etats-membres.

Est posée en effet la question de la mutabilité du logement social en lien direct avec l’évolution de la manifestation de l’intérêt général en matière de satisfaction des besoins en logement.

L’histoire du logement social en Europe témoigne de l’évolution permanente des missions imparties au logement social par les Etats-membres, depuis la révolution industrielle, en passant par les trente glorieuses, les crises de sous-emploi et la montée en puissance de l’exclusion sociale qui leur ont succédé.

Cette histoire témoigne également de la coexistence de conceptions du logement social très diverses dans les Etats-membres, allant du caractère de service universel dans les pays scandinaves au strict traitement curatif de ménages exclus du marché du logement dans les nouveaux Etats-membres et les pays anglo-saxons.

Mais ces manifestations de l’intérêt général, quelle que soit leur diversité, semblent désormais être soumises à de nouvelles exigences, à de nouveaux équilibres à établir, et par conséquent à de nouveaux arbitrages.

La montée en puissance de la reconnaissance individuelle du droit d’accès à un logement, voire de son opposabilité en droit sur une base individuelle, la formalisation légale du principe d’interdiction de discrimination dans l’accès au logement et ses déclinaisons sous la forme de contentieux sur des cas concrets d’attribution de logements sociaux, constituent en effet une nouvelle donne, notamment en matière de politique d’attribution et de peuplement et par conséquent de formalisation de critères objectifs d’accès et de priorité.

Elles appellent à une clarification des règles d’attribution fondées désormais sur un degré de priorité de demandes individuelles (critères objectifs préalables de priorité) et non plus sur des règles générales d’attribution qui s’expriment sous la forme de critères généraux d’éligibilité (plafonds de revenus, statut d’occupation…) et de listes d’attente opaques.

Elles appellent surtout à une transparence des critères objectifs de priorité et d’attribution d’une offre de logements sociaux sur un territoire, offre rendue elle-même transparente pour le demandeur qui exige désormais un libre choix de son lieu de vie .

La recherche de nouveaux équilibres entre cette individualisation du droit au logement et l’affirmation de préférences collectives telles que la cohésion sociale, la mixité ou la lutte contre la ségrégation sociale, élevées au rang de principes mais sans véritable déclinaison opérationnelle, est au cœur de cette mutabilité du logement social.

Cette nécessaire adaptabilité du logement social à l’évolution des besoins d’intérêt général et de la demande sociale, appelle des changements en termes de gouvernance, d’organisation, de transparence et de financement du logement social.

Elle induit surtout une réflexion plus profonde sur la nature des missions d’intérêt général qui lui sont imparties, sur leur priorisation opérationnelle, leur ancrage et déclinaison territoriale qui va à l’encontre de l’imposition depuis Bruxelles, d’un système unique fondé d’avantage sur une idéologie que sur une connaissance des besoins réels en logement.

Cette mutabilité reste toutefois trop fortement contrainte par la dimension patrimoniale du logement social et l’inertie toute particulière du parc de logements existants à l’évolution de la demande et des besoins, tant d’un point de vue de sa localisation que de son adaptation physique.

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L’effet indéniablement accélérateur de la crise

La crise économique et financière est venue accélérer ce mouvement d’un triple point de vue.

La crise des subprime, l’éclatement de la bulle immobilière et leurs conséquences en chaîne ont, dans un premier temps, remis à l’agenda politique la question d’une meilleure régulation des marchés du logement et d’une consolidation des fonctions généralistes du logement social en tant qu’élément régulateur et contracyclique des forces du marché.

Illustrations concrètes : la ville de Vienne a majoré les plafonds de revenus à l’accès au logement social en réponse à la crise. Le Grand Londres a renforcé ces dispositifs propres à l’accès au logement social des « key workers ».

On retrouve par ailleurs ces réflexions dans les dernières propositions de la Commission en matière de « smart regulation », de pacte de stabilité et de gouvernance économique à l’horizon 2020, ainsi que dans le discours du Commissaire européen Lazlo Andor devant le Parlement européen .

La régulation des marchés du logement et le monitoring des phénomènes de bulle immobilière devraient être prochainement intégrés dans le pacte de stabilité de la zone euro.

Par ailleurs, les mesures d’austérité budgétaire vont mécaniquement conduire les Etats-membres à cibler les interventions publiques sur les besoins d’intérêt général les plus immédiats tout en cherchant à optimiser leurs investissements passés en matière de logement social. Ciblage sur les plus défavorisés, vente des logements locatifs sociaux, captation des fonds propres des opérateurs sont autant de manifestations concrètes de ces mesures d’austérité et d’optimisation budgétaire.

La crise sociale qui découlera de ces mesures d’austérité appliquées aux budgets sociaux ne fera qu’accentuer cette remise à plat de la manifestation de l’intérêt général.

Mais le principe de mutabilité du logement social en tant que SIEG ne se pose pas exclusivement en termes d’adaptation à la manifestation de l’intérêt général en lien avec les besoins en logement, entre régulation des marchés du logement et ciblage sur les personnes les plus dans le besoin.

Il implique surtout qu’aucun obstacle juridique ne vienne s’opposer aux changements à accomplir sur la base de la réalité de l’évolution de l’intérêt général ou de son expression législative, y compris et c’est nouveau, sur une base territoriale et sur des marchés locaux du logement de plus en plus disparates.

Tel est l’enjeu réel de l’arrêt du tribunal de première instance attendu pour 2012 face à l’approche statique des missions imparties au logement social portée par la Commission européenne.

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« L’intérêt général, c’est un cercle dont on connaît le centre mais pas les circonférences » .

La particularité du droit communautaire applicable aux SIEG, et du principe de dérogation aux règles de concurrence et du marché intérieur qui le sous-tend, réside dans le fait qu’il contraint les Etats-membres à délimiter les circonférences de l’intérêt général, a fortiori en cas de marché dual segmenté entre un secteur social ou public et un secteur libre.

Mais la Commission, en tant qu’autorité européenne de concurrence, dispose-t-elle pour autant de la compétence d’imposer aux Etats-membres d’établir une circonférence au logement social en référence à une catégorie exclusive de ménages préalablement définie en raison du caractère social du service public ?

Le développement durable du logement social dans l’Union européenne suppose avant tout que les Etats-membres soient garantis par le droit communautaire – non pas en dérogations successives à des dispositions générales mais dans le cadre de dispositions adaptées et stables –, d’être en capacité :
• de définir librement le périmètre et les missions spécifiques du logement social, de les adapter à la nature des besoins et à leurs évolutions sur les marchés locaux du logement, en concertation avec les acteurs et les parties prenantes, et notamment les ménages bénéficiaires ;
• de définir et d’imposer des obligations de service public portant sur la nature du service et sa qualité, notamment son accessibilité financière, les conditions de sélection des ménages bénéficiaires et de leur implication, leur sécurité d’occupation, etc. ;
• de définir et d’imposer des obligations de service public tenant au fonctionnement des entreprises de logement social en termes de spécialisation, de non lucrativité, de réinvestissement des résultats dans le logement social, d’ancrage local et de présence pérenne dans les territoires auprès des ménages bénéficiaires, de gouvernance partenariale et participative ;
• d’assurer le financement du logement social et la viabilité économique du secteur à long terme ;
• de garantir la continuité effective du service dans les territoires de vie et son accès universel en tant que service d’intérêt général.

Cet ensemble d’exigences d’intérêt général découle de l’engagement, pris au niveau communautaire par les Chefs d’Etat et de gouvernement réunis lors du Conseil européen de Nice de mettre en œuvre des « politiques ayant pour objectif l’accès à chacun à un logement décent et salubre ».

Il s’inscrit également dans la mise en œuvre effective de leurs engagements internationaux en matière de respect du droit au logement.

Quel qu’en soit le véhicule juridique ou politique, ces exigences d’intérêt général doivent être explicitement reconnues par le droit communautaire comme relevant en soi de l’intérêt de la Communauté européenne et ne pouvant être affectées dans une mesure contraire à cet intérêt communautaire.

Quel qu’en soit le véhicule, il faut que le droit communautaire reconnaisse l’absence d’opposition entre l’intérêt général des Etats-membres, qui consiste à développer le logement social et l’intérêt de la Communauté, qui doit veiller à ce que ce développement ne soit pas entravé par ses propres règles de façon à ce qu’il puisse pleinement contribuer à l’accomplissement des missions que les Etats-membres lui ont confiées par les Traités.

Quel qu’en soit le véhicule, il faut, à l’exemple de l’exclusion du logement social de la directive services par le Parlement européen, qu’un arbitrage politique du législateur communautaire intervienne par une mise en balance des objectifs parfois contradictoires du Traité et par la définition de priorités dans l’application de ces objectifs, car tel est par définition le rôle du législateur communautaire.

Et de reprendre à la lettre la citation de Mario Monti, ancien Commissaire européen à la concurrence, qui, en tant que garant de l’intérêt général de la Communauté, affirmait que “le logement social s’inscrit pleinement dans les objectifs de base du traité instituant la Communauté européenne. Il constitue un élément légitime de politique publique et, limité à ce qui est nécessaire, il est dans l’intérêt de la Communauté de soutenir le logement social ”.

Non seulement il est dans l’intérêt de la Communauté de soutenir le logement social, mais il relève de l’intérêt de la Communauté qu’il se développe, qu’il se modernise à l’initiative des Etats-membres, de leurs autorités publiques compétentes au niveau local, des entreprises de logement social et des habitants afin de relever les nouveaux défis en présence pour le XXIème siècle, et notamment celui d’un développement urbain durable de l’Union européenne.

Dans les discours politiques, au regard des conséquences de l’épisode « subprime » sur les finances publiques, cette exigence communautaire de ciblage sur les ménages défavorisés se fait pour le moins plus nuancée, voire contestée au sein même du Collège des Commissaires comme en témoignent les propos du Commissaire Andor en plénière du Parlement européen le 18 mai 2010 :

« La crise a illustré un énorme échec du marché, pas seulement dans le secteur financier, mais aussi dans le secteur du logement, et il est apparu très clairement que les forces du marché ne pouvaient à elles seules résoudre ces problèmes, non seulement pour ceux qui sont extrêmement pauvres, mais également pour des catégories plus larges de la population. C’est la raison pour laquelle je tiens à m’opposer très clairement à tout principe qui restreindrait le concept de logement social aux seules catégories les plus pauvres de la société, en particulier par rapport à la diversité des pays européens et au principe de subsidiarité. J’insiste pour que ces définitions dans ce contexte soient laissées à la compétence des États membres eux-mêmes ».

C’est précisément la position défendue par le CECODHAS, Fédération européenne du logement social et par ses membres depuis 2005. Conformément aux dispositions du traité, elle renvoie la définition du périmètre du SIEG de logement social au niveau local en réponse à la nature évolutive des besoins en logement qui s’expriment sur les marchés locaux du logement. A cet égard l’histoire du logement social en Europe témoigne du caractère évolutif des objectifs assignés par les pouvoirs publics au logement social conformément au principe de mutabilité du service public.

Ainsi, le CECODHAS estime que le périmètre du SIEG de logement social doit pouvoir être établi sur la base des besoins en logement identifiés, de façon dynamique compte tenu de ses dimensions contracyclique et territoriale, et surtout en pleine cohérence avec des préférences collectives définies localement, au sens du protocole SIG du Traité, en matière notamment d’objectifs sociétaux de cohésion territoriale et sociale, de lutte contre la ségrégation sociale et de mixité .

Il reviendra aux juges de Luxembourg de méditer autour de cette citation de Descartes et de trancher sur le fond de cette affaire suite à leur saisine par un collectif de 133 fondations de logement social hollandaises.

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